| BoDoï | Mercoledì 5 gennaio 2011 | Eloïse Fagard |
Pour sa 3e édition en décembre dernier, le festival de la bande dessinée méditerranéenne de Cagliari (Sardaigne, Italie) accueillait Magdy El Shafee. L’artiste égyptien a publié en 2008 Metro, le premier roman graphique en arabe. Prix Unesco de la BD africaine, Metro raconte l’histoire d’un jeune informaticien qui décide de braquer une banque pour rembourser une dette contractée auprès de fonctionnaires corrompus. Le ton cru et sans complaisance de Magdy El Shafee lui a valu de sérieux problèmes avec la justice égyptienne, et tous les exemplaires de Metro ont été retirés de la vente. Aujourd’hui, en dehors de quelques extraits publiés en anglais sur Internet, on ne peut lire son œuvre qu’en italien. Rencontre avec un auteur engagé et enthousiaste.
Pourquoi avoir choisi le format du roman graphique?
Ce genre n’existait pas chez moi et, d’ailleurs, Metro est aussi la première production pour adultes du monde arabe: c’est sans doute pour cela qu’elle a rencontré autant de succès. Et aussi, peut-être, parce que son public était déjà prêt. En effet, beaucoup d’Egyptiens lisent des bandes dessinées du monde entier sur Internet. Depuis mon album, de nombreux auteurs se sont mis au roman graphique. Pour ma part, je me sens plus à l’aise dans une forme longue. J’ai commencé par écrire des strips mais, même si l’action est rapide, mon imagination fonctionne mieux dans le cadre d’un album long.
Pourquoi avoir choisi d’évoquer le problème de la corruption dans Metro?
J’avais besoin d’en parler : ce n’était pas un choix, mais une impulsion. La corruption et l’injustice sont des fléaux quotidiens en Egypte. Il faut évoquer les problèmes de société dans les bandes dessinées parce que les gens les lisent, elles sont accessibles. A cause de Metro, j’ai eu de gros soucis avec la justice égyptienne. Mais j’ai payé ma dette, maintenant tout est fini. On va le republier de manière plus ou moins clandestine, avec un partenaire libanais. Ce procès était ridicule.
Comment se porte la BD en Egypte ?
Il s’agit d’un art très populaire. Le marché est dominé par les grands noms comme Disney, DC et Marvel. Malgré tout, les productions locales tentent d’exister depuis les années 1950. Mais la jeune génération n’a pas assimilé l’héritage des grands noms du 9e art égyptien, comme Ellabad. Notre travail n’a pratiquement aucun lien avec celui de nos aînés. Le problème, en Egypte, c’est la liberté d’expression et de commerce. Hors période électorale, on peut s’exprimer relativement librement, même si on ne peut jamais parler de Moubarak et du régime. Heureusement, les blogueurs (comme metaHatem et Shennawi) peuvent franchir ces limites, de manière anonyme. La possibilité de s’exprimer sur Internet me remplit d’espoir, c’est une des meilleures nouvelles de ces dernières années.
Quelles sont vos références en matière de bande dessinée ?
Lors d’un passage à Paris, j’avais acheté chez les bouquinistes des exemplaires de Hara Kiri qui m’ont marqué. C’est aussi à Paris que j’ai découvert un de mes maîtres, Golo, au début des années 80; aujourd’hui il habite en Egypte, à Louxor. Deux artistes italiens ont aussi changé ma vision de la bande dessinée.Tout d’abord, Guido Crepax et sa série Valentina. J’ai regardé les images sans comprendre les textes, mais elles m’ont touché, car ce travail était très différent de ce que je connaissais jusqu’alors. Ensuite, Hugo Pratt pour le côté obscur. Avec lui, on explore la face cachée de la personnalité des héros.
Pour l’instant, vous n’avez publié qu’en Italie. A-t-on a des chances de trouver un jour Metro en français ou en anglais ?
Je viens de prendre un agent littéraire aux États-Unis, qui était un peu contrarié que Metro soit déjà sorti dans un autre pays. Pas moi! Car mon éditeur italien, il Sirente, se donne à fond pour moi et mon travail. J’aimerais être publié en France, mais je sais que le marché est difficile et surchargé.
Quels sont vos projets ?
Je suis en train d’écrire un autre roman graphique. J’ai aussi fondé un magazine de bandes dessinées, Il cartoonista, qui sortira bientôt. Notre but est de faire émerger la production en Egypte et de faire connaître de nouveaux auteurs. Car les jeunes talents ne manquent pas chez nous.